Publiée le par Daniel Delisle

Vanessa, reine du compte tour....
Je n’ai pas tout de suite écrit sur ma dernière course. Peut-être parce qu’au fond, j’ai encore l’impression d’y être…
Cette année, l’objectif était clair : passer la barre symbolique des 100 kilomètres.
Ce sera finalement 105 km et 4 000 m de D+ sur les sentiers de l’Ultra-Trail des Montagnes du Jura (UTMJ), entre Les Rousses et Métabief, en longeant la frontière suisse.
Une traversée sauvage, exigeante, magnifique. Tout ce que j’aime.
Ça promet !! 
Avec Dom, on repart pour trois mois de préparation sérieuse.
Première étape : une petite course au Lioran, histoire de se remettre dans le bain.
C’est un endroit particulier pour moi : c’est là que j’ai appris à skier.
Quand le train nous dépose au pied de la piste “La Gare”, je souris. Le hasard fait bien les choses. Il faut la remonter à pied pour rejoindre la ligne de départ — et je me souviens de toutes les fois où, gamine, je la gravissais à la force des mollets parce que le tire-fesses me projetait trop fort.
Mon père, chargé comme un mulet, portait mes skis et les siens… et on redescendait ensemble. 
Petit moment de nostalgie avant le départ : la “descente de la mort” derrière la patinoire, sept mètres à peine, mais c’était notre Everest à l’époque. C’est ici qu’on a fait nos premières glissades, on y passait nos journées entières... 
Le départ est donné sous un grand ciel bleu : 50 km et 1 500 m de D+ au programme.
On part confiants, trop peut-être.
La chaleur grimpe vite, ma montre estime une perte d’eau de dix litres — je ne sais pas si c’est très fiable, mais ça donne le ton.
On termine rincés. L’euphorie du départ laisse place à la réalité : on a du boulot.
Cette année, on mise sur le dénivelé.
Sur les bords de Loire, ce n’est pas ce qu’on a le plus…
Alors, chaque semaine, on se retrouve avec Dom et Phil (qui prépare le GRP) aux “100 marches” de Saint-Cyr.
139 marches pour 30 mètres de D+, à répéter encore et encore. Mode hamster activé
: une, deux, trois heures de montées et descentes.
C’est monotone, mais efficace.
Tout roule jusqu’à ce que je remarque une fissure sur les crampons de mes chaussures.
Un mois avant la course, je décide de les changer. J’ai encore le temps de les faire.
Dès la première sortie, je sens une douleur au talon. En fin de séance, une boule énorme me brûle.
Je soigne, je glace, je masse.
Mais je veux absolument tester mes nouvelles chaussures sur mon gros week-end d’entraînement : 100 km en trois jours.
Erreur. Je compense, je boîte, je finis avec le genou en feu.
Je mets les chaussures au placard et je repars avec les anciennes, tant pis.
Je n’arrive même plus à me chausser pour aller au boulot.
J’obtiens un rendez-vous chez l’ostéo trois semaines plus tard.
Je continue à courir, en ralentissant le rythme.
Le verdict tombe : bursite.
Je suis à une semaine du départ. L’ostéo me fait une séance de mésothérapie : petite piqûre directement dans la bursite.
Je ressors du cabinet, le talon a totalement dégonflé — c’est assez miraculeux.
J’ai rendez-vous la semaine suivante pour une deuxième séance, pour assurer le coup.
Et comme un pépin n’arrive jamais seul, entre-temps j’ai chopé une bonne crève.
Le covid tourne au boulot, à l’école… On est à deux semaines du départ, je me dis que j’ai le temps de me refaire une santé.
Le week-end suivant, les gars ramènent la gastro à la maison. J’ai les mains dedans tout le week-end jusqu’au mardi… Espérons que je passe à travers.
Le dimanche, je suis juge sur le marathon de Tours. J’attrape un bon coup de froid.
À quelques jours du départ, j’ai la tête comme une pastèque, je tousse comme un vieux diesel et je tourne au Doliprane.
Je sais que je ne suis pas au top.
Vendredi matin, direction Les Rousses.
Florent m’accompagne cette année : il fera mon assistance.
Je lui ai préparé un roadbook précis, avec les points de rencontre, les horaires estimés…
Dans la voiture, je le briefe. Mais je suis mal : faible, glacée, l’estomac en vrac. Le stress n’aide pas.
On retrouve Dom et Fred, venu se greffer à la dernière minute.
Dîner rapide, dodo, réveil à 4 h. Départ prévu à 5 h 30.
Je dors comme une pierre.
Au réveil, impossible d’avaler quoi que ce soit. J’ai une boule dans la gorge. Tant pis : je mangerai en course.
Comme Florent me suit, je le charge avec toutes sortes de bouffes, et j’aviserai avec ce qui me fera envie sur le moment.
Frontale vissée sur la tête, la météo est parfaite.
Il faut en profiter : une tempête est annoncée pour l’après-midi.
On s’élance autour du fort des Rousses, sur un faux plat descendant.
Je sens tout de suite que je n’ai pas de jambes.
Mais je me connais : il me faut quinze kilomètres pour me mettre dedans.
Premier bouchon au 5e km. Je souffle un peu.
Mais je galère à respirer. Mon nez coule comme une fontaine. Impossible d’utiliser mes bâtons, je dois garder les mains libres pour me moucher toutes les deux minutes.
Je me dis que la journée va être longue.
On a dû faire environ 15 km. Je suis censée être au top de ma forme à ce moment-là.
Mais des crampes au ventre commencent à apparaître. J’ai des poussées de fièvre, des gouttes de sueur ruissellent sur mon front.
J’essaie de manger, mais rien ne passe.
Le premier ravito est à 23 km, je me dis que je prendrai le temps avant de repartir.
Les douleurs au ventre deviennent de plus en plus fortes, surtout dans les descentes.
Et dans les montées, je souffle comme une vache : je galère avec mon nez… bref, je ne prends pas de plaisir.
Dom voit que je n’avance pas comme je le devrais. Il trépigne et prend de l’avance.
Le jour s’est levé. On est dans la forêt, mais je ne profite pas du tout du paysage.
On redescend sur Morbier.
Je vois Florent qui m’attend. Je m’assois, j’essaie de manger, mais rien ne passe.
Je lui dis que ça ne va pas le faire. Il me motive, me dit que ça va aller…
Mais je n’arrive ni à boire, ni à manger. Je ne respire pas, j’ai le bide en vrac… rien ne va.
Le prochain ravito est à 7 km. Je repars — 7 km, ce n’est rien, les sensations vont peut-être revenir.
Le temps est idéal pour courir.
On repart avec Dom. Très vite, une belle côte se profile.
Je dois sortir les bâtons. Mais je suis obligée de m’arrêter sans cesse pour me moucher, mon nez est un véritable torrent.
J’arrive en haut essoufflée comme jamais.
Je vois les yeux de Dom, désespérés : on n’avance pas du tout.
Je lui dis de partir. Ça ne va pas le faire pour moi.
Je me retrouve seule au milieu des bois.
J’essaie de relancer dans les faux plats descendants, sur des chemins hyper souples — un bonheur à courir en temps normal.
Mais impossible : à chaque pas, j’ai l’impression de recevoir un coup de poing dans l’estomac. Ça me coupe la respiration.
Je comprends que ce seront mes derniers kilomètres.
Je prends mon téléphone. Je vois un message de Phil qui nous encourage.
Je lui réponds : “Ça va être fini pour moi au prochain ravito.”
Il m’appelle aussitôt avec Laeti. Ils essaient de me rebooster : “Ça va passer, il faut que tu manges, ça va repartir.”
Mais je le sens : ce n’est pas juste du stress. Je suis vraiment mal.
J’essaie de repartir, mais les douleurs dans le ventre s’intensifient.
Je me fais doubler sans cesse. J’en double quelques-uns, et j’ai de la peine pour eux : si dans mon état je les passe, je n’imagine pas comment ils doivent être…
Une longue descente sur route nous emmène au prochain ravito. En théorie, c’est du plaisir. En pratique, ce n’est que souffrance.
Chaque pas est un coup dans l’estomac, j’en ai les larmes aux yeux.
J’appelle Florent. Il me dit que Dom arrive au ravito. Je lui demande son kilométrage — j’en peux plus.
Il me reste quelques centaines de mètres. J’alterne marche et course. Je devrais courir sur cette portion, mais je n’y arrive pas.
Je vois enfin Florent. Il m’accompagne jusqu’au ravito.
Je m’assois, désespérée. J’ai envie de vomir, je souffre, je ne prends plus aucun plaisir.
On regarde la prochaine portion : 12 km, une grosse montée, puis un long passage plus roulant.
Il me dit que ça peut le faire, qu’une fois la montée passée, ça va dérouler.
Oui… mais je n’arrive plus à courir, alors ça va être compliqué.
Je retire mon sac, j’essaie de boire. On reste peut-être quinze minutes à discuter.
J’ai trop mal au ventre. C’est impossible de repartir.
Je vais avec lui jusqu’à la voiture. C’est terminé.
Je m’assois, et quelques secondes plus tard, je dois sortir pour vomir trois fois — sans que rien ne sorte.
Je suis mal. On rentre à l’appart.
Après une bonne douche et plusieurs tentatives de “vomito”, je vais me coucher.
Je me réveille, le soleil perce à travers la fenêtre.
J’ai les boules.
Les boules pour ces mois de préparation, pour cette course arrêtée au 30e kilomètre alors que j’étais prête.
Les boules d’avoir demandé à Florent de venir pour si peu…
Et en même temps, heureusement qu’il était là, car je ne sais pas comment je serais rentrée.
J’ai toujours mal au ventre, mais la sieste m’a fait du bien.
Et comme je culpabilise un peu, je propose à Florent d’aller à Chaux-Neuve pour voir le tremplin olympique de saut à ski.
J’étais censée y passer — on verra au moins ça.
Les gars sont déjà loin, mais on les rejoindra ensuite.
On se gare près du tremplin, à moins d’un kilomètre du pied.
C’est alors que des seaux d’eau nous tombent sur la tête. Un vent de dingue.
On attend que l’averse passe avant de sortir de la voiture.
Bon, on ne verra pas le tremplin.
La pluie ne s’arrête pas.
On décide donc d’aller rejoindre Dom au ravito du km 65.
On l’attend de longues minutes, dans le froid, le vent, la pluie.
Je me rends compte que faire l’assistance d’un coureur, dans ces conditions, ce n’est vraiment pas une partie de plaisir.
On voit des coureurs arriver, transis de froid, beaucoup enveloppés dans leurs couvertures de survie.
Un bénévole demande s’il est possible d’envoyer un bus pour récupérer les abandons.
Beaucoup ne repartiront pas.
Dom arrive, grelottant.
Il file s’abriter sous un barnum.
Je passe sous les barrières et le rejoins.
J’essaie d’être son cerveau, au moment où le sien est gelé :
« Comment tu vas ? Tu es assez couvert ? Reprends un haut sec ? Tes gants sont où ? Tu as assez pour repartir jusqu’à la base de vie ? »
Il est glacé. Il dit qu’il n’ira sans doute pas au bout.
Mais je vois qu’il a encore un peu de jus, assez pour repartir sans prendre de risque.
Il ne s’éternise pas et repart vite.
Prochain ravito : une dizaine de kilomètres plus loin. On ne peut pas y accéder en voiture.
Je lui dis d’aller jusqu’à la base de vie, 20 km plus loin, et on avisera.
On s’y rend. De mon côté, je n’arrive toujours pas à manger.
Je vis la course à travers Dom. Fred, lui, est loin devant.
On regarde le live : le passage au Mont d’Or est dantesque, avec des bourrasques de vent incroyables et une pluie battante.
Finalement, je ne suis pas si mécontente d’être au chaud dans la voiture.
On retrouve Dom plusieurs heures plus tard. La nuit est tombée.
Il arrive, défait. Il ne veut pas repartir.
Je lui dis de se poser, de manger, de se réchauffer, et qu’on verra ensuite.
Il lui reste une vingtaine de kilomètres, mais c’est la partie la plus difficile — glissante, boueuse, venteuse, et de nuit.
Il me dit qu’il a eu peur pour sa vie, qu’il ne se voit pas finir.
J’essaie de le booster, sans l’envoyer au casse-pipe.
J’insiste : « Change-toi, mange, et on en reparle. »
À peine le temps de se changer qu’on entend l’annonce : la course est neutralisée, compte tenu des conditions.
La boucle de 20 km est fermée, ils peuvent rejoindre directement l’arrivée à 3 km.
Dom se lève d’un bond, pas le temps de manger quoi que ce soit, il repart aussitôt.
On le retrouve quelques minutes plus tard sur la ligne d’arrivée.
Fred est arrivé depuis un moment. Il a fait la moitié de la boucle avant de devoir faire demi-tour, balayé par le vent.
Le lendemain, on retourne chercher les gars chez ma sœur.
Je fais un petit malaise et des allers-retours aux toilettes sans trop savoir d’où ça va sortir…
Vous saviez que la gastro sèche existait ? Eh bien, au moins, quand ça sort, ça soulage ! 
Bref, ce n’était clairement pas pour moi cette année.
Ça fait maintenant un mois que la course est passée.
Je rêve de course à pied quasiment toutes les nuits, je n’arrive pas à passer à autre chose.
Pourtant, je n’ai aucun regret.
Je sais que je n’aurais pas pu faire mieux.
Sur ce genre de distance, si tous les feux ne sont pas au vert, c’est mission impossible.
Il faut juste que je reparte sur autre chose, pour boucler cette boucle inachevée.
Vivement la prochaine !!!!
Certains diront que j'ai bien trop écrit pour une course de 30 km... tant pis !!!

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